jeudi 19 novembre 2009

Docteur Géraud IZARD.

Chirurgien des hôpitaux, ancien Président de la CME

« LE PROJET DE DEMENAGEMENT DE L’HOPITAL DE TARBES (CHB) A LANNE ET SA « FUSION » AVEC L’HOPITAL DE LOURDES

I-le coup de grâce

Ce projet est le dernier avatar d’une liste déjà longue de condamnations prononcées à l’encontre du CHB, provenant de diverses instances, dont le but implicite est manifestement de chercher à affaiblir l’hospitalisation publique. Dès le début des années 90 de multiples missions ou enquêtes sont venues se pencher sur ce « grand malade » ; leurs diagnostics furent si contradictoires qu’on eut de bonnes raisons de douter de leur pertinence ; les remèdes proposés étaient pour la plupart incompatibles entre eux ; IGAS deux fois , Cour régionale des comptes, DAS, ARH , Commission Escat, Europ-management, MAEH deux fois, SANESCO rendirent des rapports qui brouillèrent la vision des problèmes ; de sorte que l’hôpital fut contraint à évoluer avec ses ressources propres en réussissant, il y a peu de temps encore, à maintenir son équilibre financier . Malgré un bilan plutôt honorable ses détracteurs viennent aujourd’hui exiger de lui, plus qu’une réforme, un véritable sabordage.

II- les vrais chiffres

A- le CHB : une exception géographique en Midi-Pyrénées

L’activité du CHB n’a jamais cessé d’apparaître comme exceptionnelle au regard des données régionales et nationales caractéristiques de ce type d’établissement. Il est donc assez normal qu’il lui soit assez difficile de maintenir sur le long terme un tel niveau d’activité sans certaines fluctuations dans un département dont la population est stable et face à un secteur privé concurrentiel qui a su se regrouper. Notons toutefois que l’activité MCO progresse malgré tout dans l’établissement et encore probablement en 2009 (2 %).
L’activité du CHB l’a toujours placé en 2° position derrière le CHU de TOULOUSE en données absolues mais en 1° position si on rapporte son activité à la population de son bassin de santé. L’étude que j’avais menée sur une période de cinq ans afin d’estimer les évolutions en termes de tendances ( il y a dix ans) auprès des 12 établissements les plus importants de la région avait montré que le CHB se situait en première position sur les critères comparatifs de performance ; il faisait jeu égal avec le CHU alors que ce dernier proposait un panel plus diversifié d’actes. Une de ses principales caractéristiques fut de tout temps une exceptionnelle activité chirurgicale qui se manifestait jusqu’à peu par un ratio inhabituellement élevé d’actes chirurgicaux au sein de l’établissement où ils constituent 26% de l’ensemble de l’activité et dans le département (près de 60% des interventions chirurgicales en secteur public).
La productivité médicale calculée à l’époque par le rapport « points ISA par médecin » est restée longtemps la meilleure de la région avant le CHU, respectivement 390000 et 310000. Le nombre d’«actes classants» ramené à 1000 habitants de7,3 était le plus élevé de la région. Avec un budget 1 fois et demi plus élevé que celui d’hôpitaux de même taille le CHB avait une productivité 3 fois supérieure : le rapport « budget sur équivalents journées court-séjour rapporté à 1000 habitants » était de1166 .
L’attractivité du CHB considéré dans son bassin de population demeurait 2 à 3 fois supérieure à celle de tous les autres établissements de la région.
Sur les cinq ans considérés autour de 2000 les dépenses d’exploitation n’augmentèrent que de 11% tandis que l’activité progressait de 20% .L’évolution des « comptes administratifs » progressait de 1,1% par an au CHB contre 2% ou plus dans tous les autres établissements de la région.
La progression des dépenses de personnel (groupe I des dépenses) jugée par beaucoup responsable des difficultés alléguées de l’hôpital de Tarbes fut durant cette période inférieure à 0,8% par an contre 3% en moyenne dans les autres hôpitaux .La part des dépenses de personnel (groupe I) dans le calcul du point ISA était, confirmation supplémentaire du niveau non excessif du nombre des agents, de 5,5 Fr, la plus basse de la région. Seules les dépenses de logistique (en grande partie liées aux contraintes de l’organisation de la pharmacie et à l’informatisation) étaient parmi les plus élevées : 28% chiffre excessif justement relevé dans un seul audit ( le volet logistique était responsable de 6% des dépenses du groupe I contre 3% au CHU ) .
Ces données restent encore vraies aujourd’hui même si on peut regretter que tous les efforts nécessaires découlant de ces analyses n’aient pas porté sur les secteurs les plus vulnérables ; dans les politiques hospitalières les positions stratégiques n’ont pas été par ailleurs suffisamment défendues. Mais condamner l’ensemble de la structure alors que seuls certains secteurs mériteraient d’être réformés apparaît excessif.

B- Données de comptabilité analytique

L’analyse comptable détaillée de l’établissement, fournie exhaustivement depuis près de 20 ans, aurait du permettre de tels ajustements ; elle montrait déjà en effet les points faibles de l’établissement même si dans l’ensemble le bilan demeurât positif. Les grandes variations d’efficience et de rentabilité n’ont sans doute pas été suffisamment étudiées dans leurs relations avec les « effets d’échelle » ; selon la taille de tel ou tel service les variations peuvent s’avérer considérables dans un sens tantôt d’économie tantôt de dépense. L’analyse comptable de l’établissement mettait bien en exergue le déséquilibre induit par certains investissements excessifs- en particulier en Gériatrie- durant les 15 années précédentes et la nécessité de mettre un frein aux nouvelles demandes dans ce secteur. Ainsi, il était établi que 47% de l’investissement s’était porté sur le secteur gériatrique durant ces 15 dernières années, qu’il était responsable du 1/3 de la dette de l’établissement, tandis que durant la même période 1/3 seulement des 53% d’investissements dirigés vers le MCO avaient réellement eu un impact direct sur les soins. Des tableaux de rapport « activité-budget » auraient pu aisément faire reconnaître les services actifs qu’on devait encore développer et les services fragiles qu’il fallait aider. Malgré une insuffisante réactivité le CHB avait néanmoins réussi jusqu’en 2003 à maîtriser ses budgets et à présenter un bilan financier annuel en équilibre (bénéficiaire en 2003 !).

III- les occasions manquées

Les aspects tendanciels qui émergeaient des études menées au début des années 2000 auraient du inspirer un certain nombre de réformes inscrites comme prioritaires dans le « projet médical 2000-2005 » ; elles auraient du aussi conduire à ne pas abandonner au secteur concurrentiel des activités importantes et traditionnellement bien représentées au CHB (en particulier la cancérologie) . Ce projet prévoyait un certain nombre d’économies (annexe 1) mais il insistait surtout sur les activités à développer ou à renforcer .
Ce projet n’a pas été réalisé et la « nouvelle gouvernance » puis l’application très anticipée de la loi « HPST » ont brutalement mis fin à l’espoir d’ avancées positives pour le CHB : 220 postes de soignants supprimés en 2 ans, des fermetures de lits et de services, une incitation à abandonner toute spécialisation au profit de la polyvalence…..Ceci a provoqué des conditions aussi difficiles pour les soignants soumis à des contraintes de travail très insatisfaisantes que pour les malades obligés d’être hospitalisés dans des chambres à 2 lits,et en mélangeant dans les mêmes chambres des pathologies étrangères.
Il est donc paradoxal de proposer, au moment où l’investissement est bloqué et où le projet médical est oublié, non pas la reprise du projet ,mais l’abandon de la structure et son déménagement.

IV- nos critiques au projet de déménagement

A –La fréquentation du nouvel établissement ?

On prétend que la « fusion » des deux établissements sur un nouveau site unique à mi-distance entre Tarbes et Lourdes augmentera l’attractivité et permettra d’envisager des admissions au moins égales à la somme des hospitalisations respectives de ces deux établissements. Les exemples fournis à l’appui de la thèse -concernant deux structures en Midi-Pyrénées- ne sont pas pertinents ; il s’agit en effet d’établissements dont les conditions sont très différentes eu égard au déplacement géographique qu’ils ont subi (vers le Nord et pas vers la chaîne montagneuse) et au moindre impact de la concurrence libérale dont ils peuvent être affectés. En outre l’expérience de l’un d’entre eux, déjà en pleine activité, ne vérifie pas, en chirurgie, la prévision d’une augmentation d’activité.
La fréquentation de l’hôpital de Tarbes par les malades du département apporte d’autres arguments contre le projet de déplacement du CHB ; le CHB a une répartition de fréquentation très inégale : prés de 50% des malades habitent dans l’agglomération tarbaise, 30% proviennent du nord et du nord-est du département, et seulement 5% viennent de Lourdes et de la vallée d’Argelès. On est autorisé à penser que les malades de Lourdes continueront à se faire soigner dans l’établissement nouveau quelque soit sa situation car ils n’auront pas d’autre choix ; il en va de même pour les malades d’Argelès puisqu’ils étaient déjà obligés de se déplacer jusqu’à Lourdes ; leur parcours sera à paine plus long. Mais le nombre de malades venant de Lourdes et d’Argelès au CHB est si réduit que, dans l’hypothèse où ils ne le feraient pas, cela ne changerait pas grand-chose à la situation actuelle. En revanche rien n’indique que dans cette nouvelle configuration les habitants de Tarbes et du nord du département se rendront volontiers dans cet établissement pour eux beaucoup plus excentré, d’autant qu’ils auront d’autres choix dans le secteur concurrentiel. Les auteurs du projet semblent d’ailleurs l’avoir envisagé puisqu’ils ont prévu de supprimer dans ce nouvel hôpital 20% des lits et 20% des effectifs de soignants.

B – La gestion des ressources ?

Eu égard aux sommes déjà investies au CHB il parait peu conforme aux règles de bonne gestion notamment par temps de crise) d’envisager les sommes énormes nécessaires à cette reconstruction. 35 millions d’euros ont été investis au CHB ces 6 dernières années ! Ainsi presque tout l’hôpital de Tarbes a été rénové récemment : blocs opératoires, endoscopies, gynécologie-obstétrique, salles d’accouchement, salles de réveil, anatomo-pathologie, pédiatrie, neo-natologie, consultations et hôpital de jour de pédiatrie, hémodialyse, urgences et samu, self et cuisines…..et tout récemment construction du nouveau centre de transfusion. La quasi-totalité de l’hôpital en dehors de 3 services est neuve ! ( annexe 2 ).L’hôpital de Tarbes dispose en outre d’une vaste surface propre à envisager des extensions éventuelles et le déménagement simple des locaux actuellement occupés par l’administration pourrait facilement libérer de l’espace pour les soins tout en prévoyant de reloger l’administration à l’école d’infirmières et ou à l’Ayguerotte.

C –Quelles propositions ?
  • a - au nom de l’équilibre public-privé
    Les facteurs essentiels qui déterminent l’attractivité d’un hôpital sont, comme nos enquêtes l’avaient montré :
    - une position géographique favorable, et un accès aisé, ce qui est le cas de notre hôpital
    - un ratio lits hospitaliers / lits privés favorable au secteur public mais en train de s’inverser
    - un ratio médical également favorable, lui-même déjà fortement déséquilibré

    Ces trois facteurs essentiels du succès d’un hôpital seront définitivement brisés par ce nouveau projet.
  • b - au nom d’une politique départementale de santé
    Toute initiative de rapprochement avec les hôpitaux du département est bienvenue - avec Lourdes comme avec Lannemezan. Mais après 20 ans de discussions on a de bonnes raisons d’être pessimiste. Pourtant le corps médical avait mis beaucoup d’espoir dans une organisation départementale de l’hospitalisation qui, si elle avait été réalisée, aurait évité beaucoup d’activités en doublon et aurait permis la constitution d’équipes de taille suffisante et la mise sur pied de structures aux compétences diversifiées ; ces mesures sans effet sur l’emploi du fait d’une activité maintenue grâce à elles et à d’éventuelles réorientations d’activités auraient définitivement doté le département d’un réseau hospitalier concurrentiel puissant ; par un effet d’échelle la productivité s’en serait trouvée fortement améliorée. Les décrets ou lois (décrets de regroupement obligatoire en cas de postes médicaux non pourvus ou création de groupements de coopération sanitaire GCS….) constituaient des opportunités qu’il aurait fallu saisir.
    Il est peut-être encore temps d’envisager une politique sanitaire coordonnée dans l’ensemble du département sans qu’il soit nécessaire de se jeter dans l’aventure que constituerait à nos yeux la fusion de l’hôpital de Tarbes avec celui de Lourdes et son déplacement à Lanne. Des solutions plus simples et moins onéreuses sont possibles. Les pistes ouvertes par le projet médical dont l’exécution n’a pas été achevée pourraient être reprises dans le cadre élargie d’un GCS avec l’ensemble des structures publiques du département (annexe 3 ).
    Nous souhaiterions dire à ceux qui ont introduit à Tarbes ce « cheval de Troie » d’un genre inédit qu’ils vont sacrifier l’hospitalisation publique sur l’autel de la facilité et de l’imprévision…mais il n’y aura personne pour en faire le récit. »

ANNEXE 1

PROPOSITIONS D’ECONOMIES EN 2003 ET NON SUIVIES D’EFFET

  • Eclatement de la centrale des rendez-vous et répartition des secrétaires dans différents services pour prise directe des RV
  • Investissement dans les réseaux Internet et les répondeurs automatiques pour la prise des consultations
  • Redistribution du personnel non directement utile aux soins dans les services médicalement importants
  • Diminution des investissements en gériatrie et arrêt des projets en cours dans ce secteur (50 MF d’investissements prévus)

Au total prévision d’économie de 70 MF d’investissements,
soit environ 10 millions
d’Euros

ANNEXE 2

INVESTISSEMENT ET OPERATIONS REALISEES DURANT LES 7 DERNIERES ANNEES (2000 – 2007)



INTITULECoûts de l’investissement en Francs (MF = millions de Francs)
Installation de l’informatique du logiciel crossway12 MF
Réalisation des cuisines et du self15 MF
Construction des urgences, SAMU38 MF
Réfection des archives5 MF
Travaux radiologiques : achat d’un analyseur et de radio-plaques phosphore ainsi qu’un appareil de radio à développement rapide + 1 appareil de radiologique, réfection de la salle de radio interventionnelle5 MF
Travaux d’hygiène8 MF
Rénovation de la Pédiatrie4 MF
Rénovation de la Gynécologie7 MF
Télé-médecine 1.5 MF
Angiologie0.2 MF
Construction de l’hopital de jour et des consultations de Pédiatrie6 MF
IRM6 MF
Blocs opératoires34 MF
Endoscopies gastro-entérologiques et pulmonaires6 MF
Bloc gynécologie obstétricque6 MF
Ana-path5 MF
Département d’anesthésie, salle de réveil5 MF
Rénovation des infirmeries7 MF
Réfection du réseau d’eau et d’air20 MF
Analyseur eau et air0.2 MF
Contrôle de sécurité, de qualité et vigilances diverses0.5 MF
TOTAL196 MF d’investissements
Frais d’exploitation20 MF
Achat de matériels30 MF

ANNEXE 3

PROJETS IMPORTANTS PROPOSES DANS LE PROJET MEDICAL 2000 – 2005 ET NON REALISES

  • Regroupements de la chirurgie vasculaire et de l’Angiologie avec prise de gardes des médecins en angiologie
  • Création d’un hôpital de jour de Neurologie
  • Création d’un département de chirurgie vasculaire et de chirurgie thoracique avec la chirurgie viscérale sur un étage avec incorporation de soins intensifs visant à élargir le recrutement de ce secteur
  • Création d’un poste d’urologie et utilisation d’une salle de bloc
  • Réaménagement des consultations de gynécologie – obstétrique au 2ème étage après le dégagement de ce secteur du fait du regroupement de la gynécologie obstétrique au bloc opératoire
  • Sectorisation du secteur d’urgence pour réaliser un secteur indépendant de « trauma center » sous la responsabilité du service d’orthopédie – traumatologie
  • Création d’un hôpital de semaine polyvalent à orientation cancérologique
  • Création d’un centre de dyslexie en pédiatrie
  • Elargissement des compétences du CLAN pour créer un véritablement département chargé de l’obésité, de la nutrition entérale et parentérale, de la dénutrition en intra-hospitalier et en prévention à l’extérieur par des consultations spécifiques
  • Développement d’un secteur de chirurgie maxillo-faciale
  • Départ de l’Administration des 2 ailes du rez-de-chaussée afin de créer des consultations avancées d’accès facile, un hôpital polyvalent et des soins attentifs avec une passerelle reliant la Réanimation située elle-même au rez-de-chaussée. La place libérée est facilement aménageable car ces locaux étaient initialement destinés aux soins ; l’administration peut retrouver des locaux identiques soit sur l’emplacement de l’hôpital soit dans les locaux libres à l’IFSI, soit pour une autre partie à l’Ayguerote
  • Réalisation d’une salle d’iconographie, de réunion et de relations avec la médecine de ville dans les ailes libérées par l’administration
  • Création de chambres plombées pour l’irradiation métabolique,
  • Réfection d’une salle de CME, CA à l’Ayguerote sur une salle déjà existante,
  • Rénovation de certaines chambres avec chambres à 1 lit
  • Délégation de signature aux responsables des pôles de responsabilité
  • Délégation de signature aux responsables de la Formation Médicale Continue
  • Réalisation d’une véritable HAD bridée par des conventions imposées par des associations déjà présentes
  • Répartition du personnel non médical en fonction d’index d’activité déjà bien connus (PRN ou autre mais jamais utilisés),
  • Renforcement de la médecine nucléaire avec nomination d’un 2ème PH et l’investissement dans un TEP-Scan
  • Création d’une véritable unité d’Oncologie temps plein avec un PH temps plein.

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